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JO d'Hiver 2030 : "Un mauvais signal envoyé à la montagne française"

Interview de Rémy Knafou, professeur émérite de l’université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.


Les Jeux Olympiques n'ont pas bonne presse depuis quelques années. Les populations et les gouvernements veulent de moins en moins accueillir ces évènements planétaires qui laissent bien souvent comme seul héritage une lourde ardoise aux habitants. Les Alpes françaises ont remporté l'organisation des Jeux olympiques d'hiver de 2030. Rémy Knafou, professeur émérite de l’université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et géographe spécialiste du tourisme, alerte sur les conséquences pour des territoires terriblement fragilisés par le réchauffement climatique.


Rédigé par le Mercredi 21 Février 2024

TourMaG.com - Il y a quelques semaines, la France a obtenu l'organisation des Jeux Olympiques d'hiver 2030. Or, vous avez un discours qui dénote par rapport à la satisfaction affichée par les responsables du CIO, mais aussi des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Pourquoi ?

Rémy Knafou : Ce succès a été facile pour la France, parce que les autres pays se sont désistés.

Il faut en dire un mot.

Dans les pays où les populations sont consultées, les populations ne veulent pas de ces évènements.

Pour les Jeux olympiques d'hiver 2022, nous avions en lice départ Cracovie, Davos, Munich et Oslo. Toutes ses villes se sont désistées. Que ce soit à Cracovie, Davos et Munich, les référendums locaux ont débouché sur un rejet des habitants.

Concernant les JO d'été, plusieurs villes voulaient candidater. A Boston, la protestation des citoyens a fait que la cité a retiré sa candidature, même chose à Budapest, à Hambourg le résultat du référendum a été "non". Plus au sud à Rome, la candidature a été retirée du fait des engagements politiques de la liste du mouvement 5 étoiles.

Tout ça pour vous dire, que la tendance est plutôt au rejet de ce genre d'évènement. Par conséquent, ceux qui triomphent le font sans mérite et probablement même à contrecourant, c'est préoccupant.

JO 2030 auraient du être "une opportunité d'opérer la transition climatique"

TourMaG.com - Pourquoi ces refus des populations locales ?

Rémy Knafou :
Il y a des explications économiques et climatiques.

Sur le premier sujet nous voyons les ardoises laissées par l'organisation des Jeux olympiques. D'autant plus que les dépenses réelles par rapport à celles envisagées, sont souvent plus fortes et les retombées ne sont pas toujours celles espérées.

A lire : Neige : quel avenir pour les stations françaises ?

Ces mêmes retombées renforcent les inégalités économiques et spatiales. Globalement la collectivité paye, mais des minorités ramassent les profits.

Il y a un problème de répartition de l'argent dans les pays d'accueil.


De plus, vous avez un risque de sécurité et d'attentat croissant, lors de spectacles aussi médiatisés.

A mon avis, l'empreinte carbone des Jeux Olympiques pose des problèmes en montagne. Cela va à l'encontre des enjeux de la transition climatique, c'était le message de ma tribune publiée dans le journal le Monde.

Je suis plutôt quelqu'un de nuancé et je ne suis pas un militant forcené, mais il aurait été possible d'envisager ces Jeux olympiques d'hiver comme une opportunité d'opérer la transition climatique de ces territoires.

Cette transition climatique est en montagne plus qu'ailleurs, indispensable. Or ce n'est pas ce que je vois dans le projet en question.

JO 2030 : "l'Etat ne remplit pas bien sa responsabilité avec cette candidature"

TourMaG.com - Pourtant, la candidature française pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2030 se revendique "durable et économe" d'après nos confrères de la Tribune. Vous n'êtes pas d'accord ?

Rémy Knafou :
Sur ce genre de sujet, les paroles ne suffisent pas et il est compliqué de passer aux actes.

Je crains que ce soit une victoire à la Pyrrhus et que nous manquions l'opportunité de faire entrer la montagne dans la transition climatique. L'adaptation du tourisme aux enjeux climatiques est difficile partout, c'est normal.

Sauf que la montagne est un terrain spécifique, car le réchauffement y est plus rapide qu'en plaine.

Nous savons que la neige naturelle dans les alpes françaises devrait disparaitre dès +2 degrés de réchauffement mondial, elle est déjà en danger selon les rapports du GIEC. La situation est plus ou moins inquiétante selon les massifs.

La montagne pourrait servir de banc d'essai au reste des territoires touristiques.

Les stations hautes sont celles qui auront le plus longtemps de la neige. Surtout que ce sont elles qui sont le mieux équipées dans la production de la neige artificielle. Un peu plus bas, la moyenne montagne est en grand péril.

Le rôle des pouvoirs publics devrait être de préparer l'avenir, pour éviter que ces lieux ne soient pas totalement sinistrés, lorsque la neige ne sera plus au rendez-vous.

Je trouve que l'Etat ne remplit pas sa responsabilité avec cette candidature. Elle est portée par des régions qui ne se sont pas illustrées, par leur adhésion à la lutte contre le réchauffement climatique, et la mise en application de la loi pour la 0% artificialisation nette des sols.

Jeux olympiques : "C'est un mauvais signal envoyé"

TourMaG.com - Avec ces Jeux olympiques remet-t-on une pièce dans la machine de l'or blanc et du ski ?

Rémy Knafou :
C'est un mauvais signal envoyé.

Je comprends malgré tout la carte abattue en organisant les Jeux olympiques : tant que l'on peut, on y va !

A lire : "Le tourisme est un projet totalitaire" selon Rémy Knafou

Humainement c'est compréhensible. Il n'y a rien de plus difficile quand les choses vont bien d'imaginer que l'avenir sera plus sombre, alors que bon nombre d'acteurs et les médias nous le disent régulièrement.

Les choses vont globalement bien, la sagesse serait de préparer les périodes de vaches maigres durant celles de vaches grasses. De ce point de vue, l'obtention des JO ne va pas aider.

Qu'est-ce qui se passera lorsque nous arriverons au terme de cette économie fondée sur le ski ? Cela arrivera inévitablement et le choc sera très violent pour les entreprises et les populations.

Il sera d'autant plus brutal, dans une partie des alpes françaises, dont la Savoie. Là-bas nous faisons face à un capitalisme de type industriel très éloigné de celui familial que nous retrouvons en Suisse ou en Autriche.

Les hôtels et les remontées y sont souvent détenus par des familles ou des petites sociétés locales.

Elles ont les reins solides et des capacités d'adaptation. Il ne faut pas se bercer d'illusions, quand la fin de la neige arrivera, ces grands groupes capitalistes partiront sans état d'âme.

C'est pour cela que je conseille de créer un fonds de prévoyance, pour obliger les acteurs à faire cette transition.

Clusaz : "Ce projet 2030 n'est pas pensé, il n'y a aucune cohérence"

TourMaG.com - Que pensez-vous alors de la bataille des populations contre la retenue collinaire à la Clusaz. Est-ce aux habitants de décider de l'avenir des stations de ski ?

Rémy Knafou :
C'est un très bon exemple de la complexité des choses.

Le lac de retenue en question était justifié par un discours assez confus, via une alimentation en eau potable des habitants de la ville et des canons à neige. Sans avoir un point de vue engagé, je pense que le lac était spécifiquement pensé pour les canons à neige, l'autre argument était faux.

La majorité des habitants de la Clusaz s'est prononcée pour, en revanche des résidents qui ne sont pas domiciliés dans la ville, ont voté contre.

Le problème étant que ces vastes territoires sont gérés par un petit nombre d'habitants, généralement l'avis des touristes, ceux ayant des résidences secondaires par exemple, ne sont jamais pris en compte. Pourtant ils sont les plus nombreux dans ces communes.

Il arrivera un moment, où la collectivité devra se positionner sur qui décide sur quoi. L'Etat est garant de l'intérêt général, mais à la Clusaz, la préfecture était pro-aménageuse, alors bien même que le projet n'avait rien de durable.

La position ambigüe de l'Etat interroge car toute future activité touristique ne misant pas sur la neige, va dans le bon sens.

TourMaG.com - Les défenseurs et les organisateurs des JO parlent souvent de l'héritage de ces évènements. Que peuvent laisser les JO d'hiver ?

Rémy Knafou :
Les JO d'hiver sont très différents de ceux d'été qui laissent des équipements utilisables par un plus grand nombre.

Par définition, une piste de bobsleigh est utilisée par assez peu de monde. Ce sont des équipements qui sont financés à fonds perdu.

Pour les JO 2030, quand vous voyez que les épreuves de patinage iront à Nice, alors qu'il n'y a pas de grande patinoire, contrairement à Grenoble ou à Marseille, ce projet 2030 n'est pas pensé. Il n'y a aucune cohérence.


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